Voilà une question qui ne plaira pas à tout le monde : Sommes-nous fachés avec le sérieux ? Car, il faut en convenir, ce qui est accepté comme « sérieux » par quelques-uns peut passer pour de la ringardise par d’autres. Sans ergoter sur les fondements de telle ou telle autre signification, je fais mien le sens généralement accepté, tiré du dictionnaire qui veut que le sérieux est celui « qui s’intéresse aux choses importantes; se montre réfléchi et soigneux dans ce qu’il fait ».
Sommes-nous alors fächés avec cette qualité qui s’attache à la profondeur et à la vertu ? Ou alors vivons-nous une époque qui sacralise une «insoutenable légèreté de l’être », pour parler comme Milan Kundera ? Une évidence. Il y a de moins en moins de profondeur dans nos acclamations et dans nos cris. Nous vivons, au Sénégal, dans une société de la célébration qui fête l’apparence et les raccourcis au nom d’un « Grand bégué national » que le nouvel ordre médiatique nous impose tous les soirs. Plus question de se prendre au sérieux, de défendre un ordre ancien qui privilégiait l’effort, le mérite, l’abnégation…
C’est se prendre inutilement la tête. L’ordre ancien, nous dit-on, est mort avec les anciens.
Pourquoi se tuer à la tâche dans des études longues et inutiles alors que la sagesse populaire nous apprend que « Chance vaut mieux que licence » ? Les nouveaux passeurs d’espoir, ceux qui « coupent les cordes du déshonneur » nous en mettent plein la vue dans le grand théâtre national qui met en scène les nouveaux codes du bonheur sénégalais. Pour compter dans ce pays, il faut être à bonne place dans le répertoire des spécialistes de la généalogie de notre mbalakh national, soigner sa mise avec minutie et distribuer des liasses de billets de banques dans les agapes musicales du samedi soir.
L’effet multiplicateur de la télévision consacre une nouvelle noblesse qui construit son succès sur les vestiges des valeurs-refuges sociales de l’ordre ancien sutura, teggin… Il faut afficher sa réussite. Donner sans compter. Car, devant un tel étalage de générosité, nul n’a le toupet de demander la provenance de l’argent. C’est ainsi que se forgent les réputations. Jusqu’au jour où la bulle éclate et que le grand public découvre, médusé, que les héros du samedi soir cachent une face bien sombre du personnage qu’ils incarnent. Pensez donc à ce célèbre promoteur de lutte, adulé par le tout Dakar-qui-ne-dort-jamais, qui a du s’exiler en France après des ennuis judiciaires. Le nouvel ordre social porte en triomphe les baratineurs de tout acabit. Le langage, cette capacité d’exprimer une pensée et de communiquer, s’efface devant les acrobaties verbales de ces funambules du virtuel qui ont fini de casser tous les codes. Ils se sont passé le mot sur la bande FM: faire l’éloge de la légèreté.