C’est connu maintenant, la première phase du Train Express Régional a coûté quelque 780 milliards de FCFA, dont 513,6 milliards de FCFA sous forme d’emprunt à un taux concessionnel de 2% sur 25 ans, contracté auprès de banques internationales de développement et de démembrements financiers de l’État français (AFD, Trésor public, BPI). Le reliquat de 266,4 milliards est financé sur fonds propres de l’État du Sénégal.
Disons-le tout de suite, nous ignorons les modalités de remboursement de la dette générée par le projet, notamment en termes de différé de paiement, d’éventuelles modulations du paiement, de taux d’intérêt réel, gestion des risques et autres conditions de crédit. Autre inconnue, le besoin en fonds de roulement induit par tous ces mois d’activité de la Société d’Exploitation du TER (SETER) sans le moindre chiffre d’affaires et, sait-on jamais, d’éventuelles pertes d’exploitation liées aux considérations sociales de l’État dans la fixation des tarifs. On sait, en revanche, que ces tarifs – calculés sur la base de 3 sections et de deux classes -, vont de 500 FCFA à 2500 FCFA. Selon les prévisions, le TER transportera 115.000 passagers par jour.
Fort de ces chiffres officiels et moyennant quelques approximations, on peut désormais poser un débat plus argumenté et, espérons-le, plus contradictoire sur la rentabilité commerciale, économique et financière du projet.
D’abord, supposons que le ticket moyen par passager soit de 1000 FCFA. Ce chiffre s’inspire du coût moyen des transactions sur l’autoroute à péage, tel que calculé par l’État du Sénégal lors de l’estimation du chiffre d’affaires de l’infrastructure gérée par Eiffage, avec le résultat que cela a produit sur le contrat de concession. Même si les deux projets ont des profils, des modèles économiques et des cycles de vie différents, ils ont des grilles tarifaires assez semblables (structure des sections, tarifs des sections, etc.). Il s’y ajoute la proximité assez notable entre le nombre de voyageurs attendus chaque jour dans les trains du TER (115.000) et le nombre de transactions journalières enregistrées aux guichets de l’Autoroute à péage (près de 125.000). Cela justifie – dans une certaine mesure – la comparaison.
Sur cette base, le chiffre d’affaires prévisionnel serait de 115 millions de FCFA par jour, soit plus ou moins 42 milliards par an (ce qui n’est pas très loin des revenus de l’Autoroute à péage). Bien-sûr, la vente de ticket ne sera pas la seule source de revenus du TER ; il y a également la location de l’espace commercial des gares (boutiques, espace publicitaire, etc.), peut-être les droits d’utilisation des rails acquittés par d’autres sociétés de transport ferroviaire, etc. Mais, le transport de passagers restera le cœur de métier du TER et son principal pourvoyeur de cash pour couvrir ses dépenses d’exploitation (salaires et charges sociales, taxes, consommations intermédiaires, charges calculées, etc.), ses investissements, ses charges financières, ses impôts et la rémunération des investisseurs, y compris l’État. Là également, avouons notre méconnaissance du régime fiscal du TER, de sa politique d’amortissement de ses actifs, de sa masse salariale, de ses coûts d’énergie, etc.).
Mais, en posant comme hypothèse (très basse) que le salaire brut moyen soit de 500.000 FCFA, la masse salariale des 1000 employés du TER serait de 500 millions par mois, soit 6 milliards de FCFA par an. On peut s’avancer un peu plus sur les charges financières, celles uniquement liées au remboursement de l’emprunt pour l’investissement initial, puisqu’on connaît le montant de cette dette et son taux d’intérêt moyen. En simplifiant au maximum (car ne disposant pas du tableau d’amortissement de la dette et des termes du crédit), le TER remboursera à peu près 21 milliards par an, en moyenne, à ses créanciers, principal et intérêts compris. Ce service de la dette ne prend pas en compte d’éventuels remboursement et rémunérations de concours bancaires et autres facilités financières (notamment celles qui seraient accordées par les maisons-mères des sociétés françaises impliquées dans la gestion. Et si ces modes de financement du BFR et d’autres investissements ne suffisaient pas, le concours de l’État – à travers des subventions d’exploitation ou d’investissement – pourrait serait certainement nécessaire pour équilibrer les comptes.
Il n’aura échappé à personne que l’un des postes de dépenses à surveiller de près sera l’énergie. Le TER est un moyen de transport bi-modal fonctionnant au diesel ou à l’électricité (25.000 volts). Or, l’une et l’autre source d’énergie coûtent cher, surtout dans la conjoncture actuelle. Et même lorsque le prix du baril de pétrole baisse considérablement sur le marché international, ces facteurs de production restent souvent plus chers au Sénégal que dans les pays auxquels il peut être comparé, notamment les pays de l’UEMOA. Il reste la perspective d’une nette baisse du coût de l’électricité à la faveur de l’exploitation du gaz sénégalais (Gaz to Power).
Il faudra surveiller de près l’amortissement du matériel et des autres actifs éligibles. Si le mode d’amortissement est la caducité, en lieu et place de l’amortissement linéaire, les résultats des premiers exercices s’en ressentiront, au détriment des actionnaires, donc de l’État. Dans le pire scenario, un mauvais choix pourrait coûter cher à l’État, comme ce fut le cas lorsque le contrat de la Société des Eaux (SDE) est arrivé à terme et que le Sénégal a dû rembourser la valeur résiduelle des actifs amortissables à hauteur de plusieurs milliards de FCA.
Heureusement, la gestion du contrat de concession de l’Autoroute à péage par les autorités sénégalaise rassure sur la capacité du gouvernement à défendre les intérêts de la Nation. Il reste que le produit de la renégociation des termes contractuels, du rééquilibrage des rapports de force et des ajustements s’est jusque-là fait au profit du trésor public plus qu’au bénéfice direct des usagers (baisse des prix, meilleure qualité de service, gestes commerciaux, etc.). Tirant les leçons de l’Autoroute à péage, l’État a, d’entrée de jeu, a pris une bonne position dans le capital de la SETER, 25% des actions. Il reste à connaître les droits attachés à ces actions, notamment en termes d’influence sur les décisions stratégiques et sur la politique de dividende.
Mais, l’État commettrait une énorme erreur de se focaliser sur le résultat net, l’impôt sur les sociétés (30% du bénéfice) et un éventuel dividende. Garant en dernier ressort des dettes financières du TER, le Sénégal doit veiller à une gestion économique et financière rigoureuse, capable de dégager un excédent d’exploitation suffisant pour couvrir les lourdes charges financières et les investissements nécessaires pour la viabilité du TER, même au-delà de l’accompagnement des partenaires français (SNCF et KEOLIS). Il ne faudrait surtout pas que les bénéfices escomptés soient absorbés voire dépassés par des subventions et autres dépenses fiscales (exonérations, réductions de taux, etc.). Enfin, l’endettement de la SETER doit rester sous contrôle pour éviter le syndrome de la SAR et de toutes ces sociétés nationales qui plombent la dette consolidée de notre pays et qui obèrent leur équilibre financier à cause de frais financiers exorbitants.
Voilà pour le futur proche, l’avenir de ce projet structurant. Pour le reste, espérons que les bénéfices du projet (gains de temps, impact environnemental positif, impact social, etc.) l’emporteront sur les coûts financiers et non financiers. Mais ça, c’est un autre débat…